Port-Royal-des-Champs 1.3

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 Le site de Port-Royal-des-Champs est un ensemble constitué des ruines de l'abbaye de Port-Royal, du musée des Granges et d'un domaine forestier et paysager. Situé au cœur de la vallée de Chevreuse, au sud-ouest de Paris, dans la commune de Magny-les-Hameaux (Yvelines), il est le témoin de l'histoire de l'abbaye de Port-Royal et du jansénisme.

Malgré un riche passé, il ne reste aujourd'hui presque rien de ce monastère fondé en 1204.

Cet endroit fut le théâtre d'une intense vie religieuse, intellectuelle et politique du XIIIe siècle à nos jours. D'abord simple abbaye cistercienne féminine au cœur du bassin parisien, Port-Royal devient au XVIIe siècle l'un des symboles de la contestation politique et religieuse, face à l'absolutisme royal naissant et aux réformes théologiques et ecclésiologiques de l'Église tridentine.

Qualifié d'« affreux désert » par la marquise de Sévigné[1] en raison de son isolement, Port-Royal apparaît comme une « thébaïde » pour les admirateurs des Solitaires[2], c'est-à-dire un endroit privilégié où le chrétien est à même d'œuvrer pour son salut sans être tenté par le monde matériel. Attirant ou repoussant, il fascine le monde intellectuel et religieux du XVIIe siècle.

Détruits au début du XVIIIe siècle sur ordre de Louis XIV, l'abbaye et son domaine deviennent des lieux de mémoire et d'histoire, séduisant et inspirant visiteurs et intellectuels.

Port-Royal-des-Champs est aujourd'hui classé musée national.

Le site de Port-Royal sur les cartes de Cassini

Le site de Port-Royal sur les cartes de Cassini

 

Une abbaye cistercienne (1204-1609) [modifier]

La fondation [modifier]

Le site de Port-Royal, au fond d'un vallon, est dans la tradition cistercienne

Le site de Port-Royal, au fond d'un vallon, est dans la tradition cistercienne

L'abbaye de Port-Royal est fondée en 1204 par Mathilde de Garlande. Apparentée aux familles royales de France et d'Angleterre[3], celle-ci décide de créer cette abbaye avec des fonds que son mari Mathieu de Marly, partant pour la quatrième croisade, a mis à sa disposition pour des œuvres pieuses.

Son choix se porte sur un lieu peu éloigné de l'abbaye des Vaux-de-Cernay, abbaye masculine. Elle souhaite, pour sa part, fonder un monastère féminin. Le lieu s'appelle « Porrois » et abrite déjà une chapelle dédiée à Laurent de Rome.

Le site de Porrois est marécageux et boisé. Son nom viendrait des poireaux sauvages qui y poussaient. Par la suite, le nom s'est transformé en « Port-Royal » en raison de l'appui que lui ont apporté les rois de France, tels Philippe-Auguste puis Louis IX, de même qu'Odon de Sully, évêque de Paris. L'abbaye est donc dès ses débuts liée au pouvoir royal[4].

L'abbaye est au départ considérée comme une simple extension féminine des Vaux de Cernay, comme un prieuré dépendant de ce monastère, c'est-à-dire dépourvue d'autonomie hiérarchique, financière et d'autorité. De même qu'aux Vaux de Cernay, les religieuses de Port-Royal adoptent la règle de saint Benoît en y adjoignant les grands principes de l'ordre des cisterciens.

Les premiers directeurs spirituels viennent également de l'abbaye voisine. Mais en 1214, à la suite de trois prieures, une première abbesse est élue. Elle s'appelle Éremberge[5]. Port-Royal gagne ainsi son autonomie et un véritable statut d'abbaye. Cependant son importance est numériquement faible : autour d'Éremberge, la communauté ne compte qu'une douzaine de membres. En 1223, le pape Honorius III lui accorde le privilège de célébrer la messe même en cas d'interdiction dans tout le pays.

Même si les premières religieuses viennent de monastères bénédictins, Port-Royal prend très vite une orientation cistercienne. Le site est typiquement cistercien : Port-Royal se trouve au fond d'un vallon fermé, parcouru par une rivière, le Rhodon. Le vallon est barré en son fond pour créer des étangs, ce qui favorise l'utilisation de la force hydraulique. Cet emplacement répond au désir de Bernard de Clairvaux d'inciter à l'humilité et à la vie intérieure par un retrait du monde. Les fréquentes visites des généraux de l'ordre cistercien laissent penser que Port-Royal s'est inscrit très tôt dans l'orbite cistercienne.

Architecture de l'abbaye

Plan de Port-Royal des Champs, tableau peint d'après les gravures de Louise-Magdeleine Horthemels

Plan de Port-Royal des Champs, tableau peint d'après les gravures de Louise-Magdeleine Horthemels

L'architecture est caractéristique de l'ordre cistercien. Dès la fondation de l'abbaye en 1204[6] et la construction des premiers bâtiments, comme la partie conventuelle achevée en 1208, l'appartenance de Port-Royal à l'obédience de Cîteaux, évidente dès ses débuts même si elle n'est officielle qu'en 1240[7], décide de l'organisation générale du lieu. La seule élévation est celle du clocher de l'église, qui est terminée en 1229. Le cloître est adossé au côté sud de l'église, comme dans la plupart des abbayes cisterciennes. Le chapitre et le réfectoire, lui-même surmonté du dortoir, forment le côté est du cloître, dans le prolongement du transept.

L'église est construite sous la direction de Robert de Luzarches, architecte de la cathédrale d'Amiens, engagé et rémunéré par les Montmorency[8]. Son plan suit également la tradition architecturale cistercienne : l'église a une forme de croix latine à base carrée, dont le tracé ne comporte que des lignes droites se coupant en angle droit. L'édifice comprend une nef de six travées flanquée de bas-côtés, et sa longueur totale est de 55 mètres. Le transept saillant est large de 28 mètres. Le sanctuaire est assez court (seulement deux travées) et se termine en chevet plat. Ceci s'explique par la tradition cistercienne, où le chœur des moines et des moniales n'est pas placé après la croisée du transept mais dans la nef centrale. À Port-Royal, le chœur occupe les troisième, quatrième et cinquième travées, et se termine par une grille.

Les gravures montrent que l'église est élevée à trois niveaux dans un style gothique archaïque, avec de grandes arcades en arc brisé. Cependant, malgré l'emploi de voûtes sur croisées d'ogives, renforcées à l'extérieur par des arcs-boutants, l'église ne comporte que des fenêtres hautes, de petite taille et en plein cintre, sans doute par volonté (là encore typiquement cistercienne) d'humilité. Les arcs de la voûte reposent sur d'épaisses colonnes simplement ornées de feuillages sculptés.

À l'ouest de l'église, un pigeonnier, toujours visible aujourd'hui, est édifié au XIIIe siècle.

Les aménagements ultérieurs, assez peu nombreux, ont lieu essentiellement au XVIe siècle sous l'impulsion de l'abbesse Jeanne II de La Fin (1513-1558), qui fait réparer l'église et reconstruire partiellement le cloître, le dortoir et l'infirmerie. Le chapitre est alors déplacé dans le bras droit du transept dont la grande arcade est murée. C'est également à cette époque que sont installées dans le chœur des stalles et des boiseries sculptées, considérées comme « fort belles » deux siècles plus tard, lorsqu'elles sont vendues aux Bernardins de Paris avant la démolition de l'église. Ces boiseries ont disparu à la Révolution.

La deuxième vague de restauration se situe au milieu du XVIIe siècle, à partir du retour des religieuses aux Champs en 1648. Malgré les travaux de drainage des Solitaires, l'église est régulièrement inondée par les eaux qui dévalent du plateau des Granges. L'abbesse Angélique Arnauld décide donc de faire surélever de sept pieds (environ 2,30 m) le sol de l'église. Ces travaux enlaidissent l'ensemble, puisque les chapiteaux arrivent alors à hauteur de tête, ce qui prive l'église de son harmonie. Mais cela ne dérange pas l'abbesse, pour qui seule la prière compte, et qui dit : « J'aime par l'esprit de Jésus-Christ tout ce qui est laid »[9], préférant que l'argent aille aux pauvres plutôt qu'à l'ornement de l'église. Dans ses lettres, elle fustige d'ailleurs les Carmélites qui embellissent leurs couvents.

Une abbaye riche

Port-Royal devient l'une des plus puissantes abbayes du bassin parisien. Elle tire ses ressources de la possession de terres agricoles et forestières aux alentours et sur des terroirs plus éloignés. Les religieuses ont rang de seigneurs sur la plupart de leurs terres, on les appelle les « dames de Port-Royal ». Elles ont l'intégralité des droits seigneuriaux et reçoivent « foi, hommage, aveux et dénombrement »[10].

On évalue le patrimoine principalement de par le partage qui a lieu en 1669 entre l'abbaye des Champs et celle de Paris, lorsque celle-ci reçoit son autonomie (voir infra). La singularité de Port-Royal vient du fait que les religieuses ont converti en rentes une grande partie de leurs biens. Elles ont progressivement transformé ces rentes en prêts, ce qui fait que le monastère fonctionne comme une banque.

En plus de la propriété originelle du vallon de Port-Royal, les religieuses reçoivent par don, au cours du XIIIe siècle, celles de Magny, Champgarnier, Germainville, Launay et Vaumurier, situées sur la paroisse de Saint-Lambert des Bois, donc juste autour de l'abbaye.

En 1230, les religieuses reçoivent des terres à Villiers-le-Bâcle, puis en 1479 à Buc et Châteaufort, et enfin à Buloyer en 1504, ce qui permet d'augmenter les revenus fonciers. L'abbaye se met alors à acheter des fermes plus éloignées. Elle en reçoit aussi comme dons pieux. C'est ainsi qu'en 1258 un seigneur, Jean de Montfort, fait don de sa forêt et de 240 arpents de terre au Perray en Yvelines, à douze kilomètres à l'ouest de Port-Royal. Au sud et à l'ouest du monastère, les seigneuries de Gourville et de Voise s'ajoutent également au patrimoine pendant le Moyen Âge.

Au XVe siècle, l'abbaye entre en possession d'une importante seigneurie, celle de Mondeville, à 35 kilomètres de distance, entre Melun et La Ferté-Alais. Elle y détient les droits de haute, moyenne et basse justice, ainsi que le droit de notariat.

Au XVIe siècle, Port-Royal contrôle les terres et des forêts dans un rayon de huit kilomètres. Les deux fermes qui constituent sa principale source de richesse sont celles des Granges et de Champgarnier. Au cours du XVIe siècle, le monastère acquiert autour de Nanterre de vastes propriétés qui lui fournissent des rentes considérables.

En 1659, l'abbaye achète la terre et la seigneurie de Montigny, puis d'autres domaines à Voisins-le-Bretonneux et Trappes. Au terme de ces acquisitions, le territoire de l'abbaye touche au parc de Versailles, ce qui peut représenter un motif de dissension avec le roi, notamment sur la question du contrôle des sources. À partir de la fondation du monastère de Port-Royal de Paris, les religieuses achètent également des maisons dans la capitale, situées dans le faubourg Saint-Jacques.

Port-Royal est donc extrêmement riche. Lors de la séparation des deux monastères en 1669, environ un tiers des terres est dévolu au couvent parisien, le reste demeurant en possession de celui des Champs.

La richesse matérielle de l'abbaye, fondée sur le foncier, est extrêmement dépendante des aléas politiques. Malgré un patrimoine important dès ses débuts, les périodes de troubles causent des pertes de richesse conséquentes qui entraînent un déclin du monastère à la fin du Moyen Âge.

Les difficultés de l'abbaye à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance

Connaissant un rapide développement à ses débuts, l'abbaye entre ensuite dans une période de relatif déclin. La guerre de Cent Ans est particulièrement destructrice pour Port-Royal, les épidémies se succèdent, l'insalubrité, la baisse des vocations et des difficultés économiques laissent croire un temps à la fermeture du monastère. En 1468, l'abbesse Jeanne de La Fin parvient cependant à récupérer les biens et les terres perdues dans le chaos de la guerre. En 1513, elle démissionne en faveur d'une de ses nièces, Jeanne II de La Fin, qui poursuit les travaux de restauration : l'église est embellie, le cloître et les autres bâtiments sont rénovés.

Au XVIe siècle, commence à se poser un problème de moralité parmi les religieuses. Le premier à s'en préoccuper est Jean de Pontallier, abbé de Cîteaux. En décembre 1504, il effectue une visite à Port-Royal et organise une restauration matérielle. Choqué par ce qu'il y voit, l'abbé dénonce le peu de piété des moniales, qui expédient le plus vite possible les prières et font preuve d'un mauvais état d'esprit, selon lui. Les manières cavalières des résidentes de Port-Royal ne semblent pas s'arranger avec le temps, car à la fin du XVIe siècle, un de ses successeurs, Nicolas Boucherat, remarque au cours d'une visite de l'abbaye que les religieuses y sont « coutumières de prendre noise, de dire injures atroces, sans avoir égard au lieu et à la compagnie où elles sont »[11]. Il leur recommande de respecter le silence et de recommencer à pratiquer les aumônes à la porte du monastère.

Vue de Port-Royal des Champs par Louise-Magdeleine Horthemels

Vue de Port-Royal des Champs par Louise-Magdeleine Horthemels

N'étant pas concerné par le concordat de Bologne, qui permet au roi de nommer les évêques, abbés et abbesses de France, Port-Royal continue à élire ses propres abbesses. L'abbesse Catherine de La Vallée, qui dirige Port-Royal de 1558 à 1574, est tellement peu encline à réformer son monastère qu'elle est menacée d'excommunication après ses refus répétés d'obéir aux ordres de Cîteaux. Elle finit par s'enfuir, prenant prétexte des guerres de Religion[12].

La pratique de la commende est devenue banale, comme dans la plupart des monastères de l'époque. C'est ainsi qu'en 1599 une petite fille de huit ans à peine, Jacqueline Arnauld, est nommée coadjutrice de l'abbesse Jeanne de Boulehart. Elle prononce ses vœux en 1600, et le chapitre l'élit abbesse en 1602. À cette époque, Port-Royal est un exemple symbolique des abus que l'Église issue du concile de Trente cherche à éradiquer : les sœurs vivent dans le relâchement et parfois dans la licence avec leurs domestiques. Philippe Sellier dit de cette élection : « Un abus de plus dans une petite communauté dont plusieurs historiens ont écrit le relâchement »[13].

En prononçant ses vœux, Jacqueline Arnauld prend le nom d'Angélique de Sainte-Madeleine. Elle poursuit son éducation à l'abbaye de Maubuisson, qu'elle ne quitte que le jour de son élection comme abbesse, sous la conduite de son père, Antoine Arnauld. La communauté ne compte plus alors qu'une douzaine de moniales.

Dans son autobiographie de 1655, Jacqueline Arnauld indique que le monastère est en « très mauvais état ». Ses parents s'inquiètent pour elle. Ils demandent donc au général de l'ordre de Cîteaux l'autorisation de placer auprès d'elle une religieuse d'une autre maison, Madame de Jumeauville. Celle-ci a pour tâche de terminer l'éducation de l'enfant et de surveiller la conduite du monastère. La jeune Mère Angélique s'interroge sur sa vocation, lorsqu'en 1608 un Capucin vient prêcher pour l'Annonciation. « Dieu me toucha tellement que, de ce moment, je me trouvais plus heureuse d'être religieuse que je m'étais estimée malheureuse de l'être »[14], dira-t-elle. Ce choc religieux marque le début de la renaissance du monastère.

La réforme d'Angélique Arnauld et les Solitaires [modifier]

Une réforme dans la lignée du concile de Trente [modifier]

La mère Angélique Arnauld par Philippe de Champaigne

La mère Angélique Arnauld par Philippe de Champaigne

Après sa « révélation » de 1608, Angélique Arnauld entreprend doucement une réforme de son monastère. À la fin de l'année, elle fait nommer un nouveau directeur spirituel, le cistercien Claude de Kersaillou, qui engage la communauté à respecter les règles cisterciennes.

L'année 1609 marque un tournant dans l'histoire de l'abbaye de Port-Royal. En effet, Angélique Arnauld rétablit la communauté des biens entre religieuses. La clôture monastique est également remise en vigueur. Le 25 septembre a lieu un événement important, connu sous le nom de « journée du Guichet » : donnant l'exemple, la jeune abbesse, âgée de dix-huit ans, interdit à sa famille de franchir la clôture du monastère, au nom du respect de la Règle. Port-Royal reprend une vraie vie monacale, sans plus de dérogation pour l'abbesse que pour ses religieuses.

En 1613, Port-Royal se dote d'un nouveau directeur, le père jésuite Jean Suffren, qui devient le directeur spirituel de l'abbesse pendant douze ans. Le monastère revit, accueillant de nouvelles religieuses. Plusieurs sœurs de l'abbesse rejoignent ainsi Angélique Arnauld à Port-Royal.

La mère Angélique quitte le monastère de 1618 à 1623, se donnant pour mission de réformer également l'abbaye voisine de Maubuisson. Elle confie Port-Royal à la prieure Catherine Dupont, et à sa sœur Jeanne (en religion mère Agnès de Saint-Paul) qui devient en 1620 sa coadjutrice. C'est à cette époque qu'Angélique Arnauld entre en relation avec Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran. C'est son frère, Robert Arnauld d'Andilly, qui les met en relation épistolaire en 1621. Ils se rencontrent à Paris en 1623.

À cette date, Angélique Arnauld vient de réintégrer Port-Royal, amenant avec elle une trentaine de novices et de professes de Maubuisson. Le monastère compte alors environ quatre-vingts personnes. Saint-Cyran y introduit une spiritualité rigoureuse mais qui reste dans la ligne de la Réforme catholique, telle que peuvent la vivre à la même époque François de Sales ou Jeanne de Chantal, avec lesquels l'abbesse est également en contact étroit.

Les religieuses font également un effort de réforme dans l'exercice de la prière et des célébrations. Alors que le plain-chant grégorien est progressivement abandonné dans la liturgie tridentine, elles sont parmi les seules, non seulement à le conserver, mais à faire en sorte qu'il soit bien maîtrisé par l'ensemble des religieuses[15]. Une certaine rigueur dans la prononciation des prières est également demandée, y compris chez les jeunes filles qui sont élevées dans l'abbaye. Jacqueline Pascal, sœur de Blaise Pascal et religieuse à Port-Royal, rédige à cet effet un Règlement pour les enfans qui détaille la méthode d'apprentissage de la liturgie.

Cette méthode se fonde sur une maîtrise de l'écriture et de la mémoire et une répétition des chants et prières, les plus grandes faisant répéter les plus petites. Le règlement stipule que ces apprentissages se font de manière régulière. Ainsi, les jours de fêtes, le temps entre les célébrations est employé « à apprendre par cœur ce qu'elles doivent savoir, qui est toute la théologie familière, l'exercice de la sainte messe, le traité de la confirmation ; après cela elles apprennent tous les hymnes en français qui sont dans leurs Heures, et puis toutes les latines du bréviaire, et quand elles sont venues jeunes dans le monastère, il y en a beaucoup qui apprennent leur psautier en entier. Elles n'y ont pas grande difficulté pourvu qu'elles y soient exhortées et poussées »[16].

L'enseignement n'est pas réservé aux jeunes pensionnaires de l'abbaye. La charité des religieuses (remise en vigueur par la mère Angélique) s'exerce aussi auprès des enfants du voisinage. Le portier du monastère, sans doute un Solitaire, enseigne la lecture et l'écriture, comme le rapporte un prêtre venu visiter Port-Royal : « Il y a un portier de condition, qui n'a que l'usage d'une main et d'une jambe, lequel fait pourtant trois ou quatre métiers. Il sert à la porte ; il fait des balais tous les jours ; il enseigne le plain-chant, à lire et à écrire aux petits enfants qui viennent de la campagne. Au reste, c'est un homme d'une vertu solide, intelligent, édificatif et très charitable aux pauvres qui sont là à toute heure »[17].

L'abbé de Saint-Cyran, conseiller spirituel de Port-Royal

L'abbé de Saint-Cyran, conseiller spirituel de Port-Royal

Cette réforme et l'essor qui en résulte sont brusquement arrêtés par une forte mortalité qui ravage l'abbaye pendant la décennie 1620. Le paludisme, dû au caractère marécageux du site, décime les religieuses. Sur le conseil insistant de sa mère, Angélique Arnauld se décide en 1624 à acheter un hôtel dans le faubourg Saint-Jacques, à Paris. L'abbé de Cîteaux et l'évêque de Paris donnent leur accord pour le transfert de la communauté. Angélique quitte donc Port-Royal le 28 mai 1625 avec quinze religieuses, pour s'installer à Paris. Les autres religieuses les rejoignent progressivement.

C'est de cette époque que datent les appellations de Port-Royal-des-Champs et Port-Royal-de-Paris. En effet, si les religieuses s'installent dans le faubourg Saint-Jacques où se développent alors les couvents féminins, elles gardent l'abbaye des Champs, qui fournit de substantiels revenus à la communauté. Le site de Port-Royal n'est plus alors habité que par un chapelain qui assure les offices pour les personnes s'occupant de l'entretien du monastère et de la ferme des Granges, située sur le plateau qui surplombe l'abbaye.

La règle du monastère de Port-Royal se modifie à cette époque : la mère Angélique change le mode de nomination de l'abbesse. Celle-ci est dorénavant élue tous les trois ans. Elle-même démissionne de sa charge en 1630. La sœur Marie-Agnès Le Tardif lui succède alors, elle-même remplacée en 1636 par la jeune sœur d'Angélique, la mère Agnès Arnauld. La mère Le Tardif redevient simple religieuse et meurt, aveugle, en 1646[18].

Un lieu attractif [modifier]

Les religieuses n'étant plus présentes sur le site de Port-Royal des Champs, celui-ci devient un lieu d'attraction pour des hommes souhaitant se retirer temporairement du monde.

La maison des Solitaires aux Granges de Port-Royal

La maison des Solitaires aux Granges de Port-Royal

Le premier à s'y installer est Antoine Le Maistre, qui séjourne à Port-Royal de mai à juillet 1638, avec ses frères, d'autres Solitaires et des enfants. Mais ils sont dispersés par ordre de la Cour, qui ne voit pas d'un bon œil cette nouvelle expérience. Antoine Le Maistre et son frère Simon Le Maistre de Méricourt reviennent cependant à Port-Royal à l'été 1639. C'est le début de la période des Solitaires à Port-Royal des Champs. Pendant une dizaine d'années, des hommes jeunes ou moins jeunes viennent se retirer à Port-Royal, attirés par le goût de la solitude et de la pénitence. L'abbé de Saint-Cyran leur rend visite pendant le court temps séparant sa libération de la Bastille (mai 1643) et sa mort, en octobre de la même année.

À Port-Royal de Paris, la communauté prend de l'ampleur. La mère Agnès Arnauld laisse sa place d'abbesse à sa sœur, la mère Angélique, en 1642. Réélue sans interruption jusqu'en 1651, elle a le projet de faire revenir la communauté aux Champs, qui ont été profondément assainis par les travaux des Solitaires. Jean-François de Gondi, archevêque de Paris, autorise en 1647 la mère Agnès à envoyer quelques religieuses aux Champs. L'année suivante, la mère Angélique elle-même revient à Port-Royal des Champs avec neuf religieuses.

 

Le bâtiment construit aux Granges pour les Petites Écoles, précédé du verger planté par Robert Arnauld d'Andilly

Le bâtiment construit aux Granges pour les Petites Écoles, précédé du verger planté par Robert Arnauld d'Andilly

Les Solitaires quittent alors le site de l'abbaye pour s'installer aux Granges, comme le décrit Angélique dans une lettre écrite le 14 mai 1648 à la reine de Pologne : « Les ermites, qui occupaient nos bâtiments, nous reçurent en très grande joie, et chantèrent le Te Deum, nous quittant la place de très bon cœur. Quelques-uns se sont retirés bien affligés : on ne les abandonnera pourtant pas. Ils ont loué une maison à Paris, en attendant que Dieu nous donne la paix. Mes neveux et quelques autres se sont retirés à une ferme qui est au-delà de la montagne »[19]. La mère abbesse passe son temps entre les deux monastères, qui n'ont qu'une seule autorité. Elle regrette cependant dans ses écrits de ne pas habiter en permanence Port-Royal des Champs, qu'elle appelle sa « chère solitude ».

La vie s'organise entre l'abbaye réinvestie par les religieuses et les Granges qui accueillent les Solitaires. Le 21 décembre 1649, Louis-Isaac Lemaistre de Sacy est ordonné prêtre à Port-Royal des Champs. Dans le monastère de Port-Royal de Paris, c'est son oncle Henri Arnauld qui est sacré évêque, le 29 juin 1649. La famille Arnauld est alors toute puissante dans un monastère qui fait figure de phare spirituel. Le Maistre de Sacy devient le confesseur des religieuses et des élèves des Petites Écoles, installés aux Granges où à partir de 1652 est construit le grand bâtiment de style Louis XIII qui accueille actuellement le musée[20]. On compte parmi les Solitaires installés en haut de la colline, Louis-Isaac Lemaistre de Sacy, Antoine Arnauld, Claude Lancelot, Jean Hamon, Pierre Nicole et d'autres moins célèbres. C'est dans ce cadre que Blaise Pascal vient faire deux courtes retraites aux Granges, en 1656.

Plaque commémorant la présence des Solitaires aux Granges

Plaque commémorant la présence des Solitaires aux Granges

La période est alors celle de l'âge d'or de Port-Royal, malgré la Fronde qui commence. Celle-ci touche durement l'abbaye. Les pauvres affluent, cherchant un refuge. Le monastère est défendu par les Solitaires. Du 24 avril 1652 au 15 janvier 1653, la tension est telle que les religieuses doivent se réfugier à Paris avec la mère Angélique, en raison de la « guerre des Princes ». Les Solitaires, au nombre d'une vingtaine, sont eux restés garder l'abbaye et les Granges. C'est à cette période que le duc de Luynes fait construire sur le territoire de l'abbaye un château, le château de Vaumurier.

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Publié dans histoire des Yvelines

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